A la différence d’autres peintres ayant une démarche similaire, allant du concret vers l’abstrait, mais qui restent cependant reliés au monde et gardent une matérialité palpable, un caractère terrien, en quelque sorte, François Weigel, lui, après une amorce naturaliste, et même si plusieurs étapes sont le plus souvent nécessaires, passe très vite de plein pied dans un univers virtuel, par le transfuge d’une sorte d’épure.
Au-delà de tous les ciels vécus, de tous les paysages vus, imaginés, souvenus, c’est l’appel de la lumière qui est essentiel.
Ether, nuages, brumes dans les roseaux, vapeurs translucides, givres couvrant les branchages, écrans de verre neigeux, reflets de sables mouillés, miroitements d’étangs, de cours d’eau, de routes luisantes d’averses, de fossés de boues neigeuses, de rails métalliques, de pluie sur des vitres poussiéreuses…
Au final, les éléments de figuration, aussi vibrants et suggestifs qu’ils soient, ne sont que des instruments pour transmettre ce qui ne peut se toucher, ni se voir — ce qui ne dure pas, ou plutôt ce qui existe dans une autre latitude. Ainsi les paysages s’ouvrent et s’effacent sur Impermanence, Turbulence, L’éclaircie, Le souffle, Extension permanente de l’univers — qui sont autant de cathédrales dressées vers une réalité parallèle.
Le transparent, le liquide, ne sont que la manifestation fugitive, presque impossible de l’impalpable, à la crête de l’inexprimable, que le peintre tente de saisir dans une matière qui reste étonnamment fluide, légère, par des glacis, superpositions, lavis, balayages, taches, coulures, griffures, hachures, éclaboussures, craquelures, empreintes…
Et pour tenter de cadrer, de structurer cette réalité parallèle, une tension plastique la croise de lignes, de bandes verticales, colonnes éperdues vers l’infini… Ces balises se superposent et peu à peu s’intègrent à l’harmonie de la composition et parviennent à contenir cet intangible par une alchimie fusionnelle. Cette verticalité étonnante du regard s’impose à la linéarité de l’horizon.
Une violence et une tendresse contenues sont là, exigeante, tenant l’artiste dans un état d’inquiétude et de confiance.
Toujours insatisfait pourtant, le peintre s’acharne à rendre et donner à entrevoir une image intemporelle de cet impalpable qui le déconcerte et le désarme, une image qui pourtant atteint à une plénitude.
Tina Korr